Etre repéré et fuir



Dès les premières émissions, à la fin de 1940, les opérateurs radio font l’objet d’une traque incessante de la part des vichystes, ce qui explique les lourdes pertes enregistrées au cours du conflit, et plus particulièrement dans les années 1941 et 1942. 

Au lendemain de l’armistice, un cadre législatif organise la recherche et l’arrestation des opérateurs et de tous ceux qui détiennent un émetteur-récepteur, en zone nord d’abord puis dans tout le territoire français après novembre 1942, date à laquelle la condamnation à mort est la peine encourue. 

ROLAND CLERY

"Au lycée, j'avais un copain d'origine marseillaise. Il avait de belles bottes d'officier allemand. Je pensais qu'il devait les avoir récupérées de la Gestapo.
Un jour, mon chef de réseau me dit que 60 ou 70% des membres de mon réseau ont été capturés. Il y avait de grands risques qu'ils parlent sous la torture. Moi, je ne connaissais que 3 ou 4 personnes.
8/10 jours plus tard, il me fait savoir qu'il tient une réunion à Royat, dans une villa de la banlieue de Clermont Ferrand. On va tous déjeuner ensemble, tous ceux qui restent du réseau.
Je quitte le lycée, je prends mon tramway. Et je vois mon Marseillais qui arrive !
-"Tu vas où ?"
-"Je vais déjeuner à la maison"
-"Mais non ! Le tram, il va à Royat, et toi, t'habites 152 boulevard Lavoisier!"
Comment se faisait-il qu'il connaisse mon adresse ?
-"Je vais chez des copains !"
-"Je t'accompagne"
On monte dans le tramway. Et là, il y avait quatre Italiens en tenue militaire, avec leur chapeau à plumes et leur fusil tenu à l'envers. Le voilà qui se moque d'eux, qui les invective, qu'il prend à partie tout le wagon.
Je m'inquiète : "Tais-toi ! Tu vas nous faire avoir des ennuis!"
-"Mais non ! Je fais partie de la Gestapo !"
Comme je doute, il me sort ses papiers de la Gestapo. C'était très clair. Au même moment, on passe devant le siège de la Gestapo d'Auvergne. Il y avait 3 ou 4 types à la porte. Il les salue et eux lui font signe de venir.
J'en ai profité pour décrocher le mousqueton du tramway, j'ai sauté en marche, et j'ai couru.
Je suis rentré dans la maison et tous ont eu la trouille.
Mon chef de réseau m'a dit de rester là. J'étais cuit. On était en 1943. J'avais 16 ans.

Je suis resté dans cette maison pendant plus d'une semaine. J'ai lu trois ou quatre fois les mêmes livres. Je m'ennuyais.

J'écoutais tous les après-midi Radio Alger. Ils passaient de la musique.
J'ai appris que les chansons étaient des messages. Alger envoyait des télégrammes "en l'air", c’est-à-dire que les messages n'avaient pas de correspondants. Parfois Londres émettait également "en l'air".
Ces messages étaient répétés 3 ou 4 fois et passaient parfois jusqu'à 10 fois par jour.
Par exemple, si j'entendais "Il y a de la joie " de Charles Trenet trois fois cela signifiait qu'un parachutage avait lieu à tel endroit." 

"Je suis ensuite parti dans un maquis. Mon chef de réseau est venu me voir, me disant qu'il était convoqué à Londres. Il n'avait pas la conscience tranquille car il m'avait débauché jeune. Il a décidé de m'emmener.

Les Anglais avaient des Lyssander. C'étaient des avions de reconnaissance. Ils volaient la nuit tous feux éteints. Les pilotes étaient surnommés "les chevaliers du clair de lune". Ils volaient la nuit pour ne pas se faire repérer par la DCA allemande.
Ils partaient de Londres. Ils traversaient la Manche au clair de lune, rentraient en France entre le Mont saint Michel et Granville, puis ils rattrapaient la Loire. Le fleuve brillait. A hauteur d'Orléans ils descendaient et allaient se poser dans les maquis.


Pour faire ces échanges de marchandises et de personnes, Londres devait envoyer les coordonnées de vol et nous celles d'atterrissage.
L'avion devait se poser dans des terrains en pleine nuit. Le pilote devait donc être capable de se poser et de repartir sans toucher des forêts, des lignes à haute tension ou autre.
Une fois que Londres avait accepté le terrain, elle envoyait un message personnel par radio.
Pour nous, si on entendait trois fois de suite "les eaux de l'Atlantique sont plus bleues que celles de la Méditerranée", cela signifiait que l'avion se poserait sur le terrain 3 jours après entre 23h et 24h30.

Pour baliser le terrain, les résistants plaçaient tous les 5/6 mètres des feux de bois en forme de L. Nous on avait des lampes à pétrole. La barre du L indiquait l'endroit où le pilote devait se poser. Il devait atterrir entre deux feux. La marchandise ou les personnes étaient déchargées, on montait dans l'avion, des maquisards retournaient l'avion qui repartait immédiatement. Cela durait Une minute et demi.
Quand on est parti, le pilote nous a demandés de regarder à droite et à gauche, de surveiller.

En fait, on a dû attendre l'avion 4 jours de suite. On avait la trouille, car on avait tous débarqué dans un petit hôtel de village, et les gens devaient se douter de quelque chose. Mais les avions avaient des consignes strictes : de mauvaises conditions atmosphériques, un orage par exemple, des combats aériens, des problèmes divers les obligeaient à faire retour arrière.
En plus les avions avait une autonomie de carburant de 950 km. Juste de quoi faire l'aller et le retour Londres-la France.
S'ils se déviaient, le carburant ne suffisait pas pour rentrer.