Les procédures de sécurité




Les terribles pertes que connaissent les opérateurs radio sur le terrain conduisent certains responsables locaux, comme Jean Fleury à Lyon, à organiser un système baptisé « Electre », qui repose sur une méthodologie nouvelle assurant une plus grande sécurité aux personnels. 

Ce système s’appuie sur quelques principes de base : raccourcir les séances d’émission (pas plus de trente minutes), séparer les vacations de réception de celle d’une émission, permuter les fréquences au cours  d’une émission ainsi que les indicatifs afin de rendre plus difficile aux Allemands la localisation du lieu d’émission.

 Finalement, à partir d’avril 1943, le système Electre est généralisé à la France entière tout en étant affiné, les opérateurs d’émission œuvrant le jour tandis que les opérateurs de réceptions travaillent la nuit. Cette réforme conduit le BCRA à donner un certain nombre de consignes et de directives aux radios, transmises sous forme de microfilms. 

Ces instructions ne sont cependant pas toujours strictement respectées du fait des difficultés de la vie clandestine. 
Toutefois, ces mesures réduisent les pertes même si la moitié des opérateurs tombent encore entre les mains des Allemands. 

Rouage essentiel au sein d’un réseau, l’opérateur radio en est également l’un des maillons les plus faibles dans la mesure où le simple fait d’émettre le rend immédiatement repérable par l’ennemi. Il met ainsi en danger les autres membres du réseau qui sont en contact avec lui, à la différence de l’opérateur qui se contente de recevoir une émission. 

Les règles de cloisonnement imposent donc d’isoler le pianiste autant que possible du reste du réseau. Il n’a de contact qu’avec l’équipe de protection qui assure sa surveillance et les agents de liaison qui lui apportent les messages chiffrés. Pour garantir la sécurité, il ignore le sens exact de ces derniers et ne peut donc en dévoiler le contenu en cas d’arrestation.



LUCIEN DUVAL



Nous fûmes rapidement au fait des dangers qui nous guettaient et les consignes de prudence furent très strictes. Nous n'aurons pas de ce fait à subir des arrestations massives et catastrophiques comme nombre d'autres réseaux.

L'un de nos soucis constants était d'échapper aux recherches de la gestapo et des polices allemande ou française s'employant à nous traquer et à ruiner les actions de la Résistance. 

Néanmoins, 115 agents paieront de leur vie, 265 seront déportés, 101 seront internés. Le Réseau Alliance a compté 400 morts.

Dès connaissance d'une arrestation, chacun devait s'efforcer de couper les liens qui pourraient conduire à l'identification d'autres agents du Réseau et en particulier des responsables. L'identité réelle, les domiciles des uns et des autres n'étaient pas connus, sauf des responsables. Le cloisonnement était strict. 



Le danger d'être repéré avec toutes les graves conséquences qui en découlaient, nous amenait à limiter la durée des émissions, à changer la fréquence en cours d'émission, à changer de lieu d'émission.



En cette fin d'année 1943, nos conditions de travail sont devenues de plus en plus difficiles et le risques de toute nature de plus en plus grands. Nous nous demandons si nous pourrons tenir encore longtemps. Un manque d'effectif se fait sentir et nous éprouvons des difficultés à trouver des locaux.

Plus que jamais à cette époque de la guerre, les qualités d'improvisation sont appréciables et indispensables. En effet, l'enchaînement précipité des évènements exige une improvisation constante. Il faut durer pour mener la bataille et participer jusqu'au dernier combat.

Exemple vécu par Goston Watelet, où initiative, improvisation payaient mais pouvaient coûter très cher.

« Édouard(Jacques Aaronson), le radio avec lequel je faisais équipe, étant au maquis des Sept-Laux, je me trouvais seul à Chambéry. J'habitais à Cognin, au lieu-dit Chaloup. Je disposais d'une maison prêtée par la famille Guyot, de Rives.

Un jour, par notre boîte au lettres de Chambéry ( M et Mme Chappot), me parviennent des messages à transmettre d'urgence à nos amis d'outre-Manche. Que faire?.... Rejoindre un de nos emplacements ( Sept-Laux – Chartreuse ? ... Le poste de Trévignin avait été saisi ) aurait pris trop de temps et nécessité le transport de l'émetteur-récepteur.

Je décidais de « prendre le manche » et de transmettre, moi-même, sur place, les messages en cause. Cela ne fut pas sans mal, la propagation n'était pas très bonne ce jour-là, et malgré les connaissances en Morse acquises au 34e Bataillon de Chasseurs Alpins, je ne pouvais me qualifier de « radio professionnel ». Je manipulais assez bien, par contre la « lecture » (réception) laissait à désirer. 

A un moment j'ai été amené à dire à mon correspondant ( ou correspondante? ) : PSE – SLOWLY – I.A.M. - NOT – S.V.P., doucement, je ne suis pas radio). Ayant compris mon charabia, il a « levé le pied » ou plutôt la main et finalement tout le trafic a été écoulé. Ce furent les classiques Q R U – V A ( je n'ai plus rien pour vous, fin d'émission ).

J'étais assez content de moi et après avoir remisé les matériels dans leur «  planque » , ce qui devait arriver depuis pas mal de temps, arriva. Je vis passer devant la maison une de ces magnifiques voitures équipées de radio goniomètres.

L'émission était terminée, je ne risquais plus rien. Étant passé au travers de multiples contrôles ( Français ou Allemand), la « peur après coup » était passée de mode, mais ce jour-là, je me suis dit que les Allemands étant sur nos traces, nous aurions tout à gagner à ce que « cela finisse ». Il nous fallut attendre Août 1944, après un séjour en Chartreuse fertile en péripéties à partir d'un certain 6 juin! »

Autre épisode des aventures de nos pianistes, en l'occurrence Roger Barrière dit Daniel où, au souvenir du danger, se mêle aussi un souvenir ému.

« Fin Décembre 1943, accompagné de mon gardien Raymond ( Henri Stael ) , nous nous rendons à Villard-de-Lans pour assurer une liaison radio.
Il a beaucoup neigé, le car poussif nous dépose au milieu du village.

A quelque distance de là, assez à l'écart, se trouve la ferme où nous devons émettre et où nous arrivons assez en avance sur l'heure d'émission, chez ces gens admirables auxquels on ne rendra jamais assez hommage pour leur gentillesse et leur courage.

Nous commençons à installer matériel et antenne dans le grenier, par un froid intense, quand surgit le fermier pour nous prévenir que dans le lointain une voiture vient dans notre direction.
Le temps de démonter et cacher le matériel, nous filons par une porte arrière vers la forêt.
Trempés de sueur nous nous planquons avec de la neige jusqu'aux genoux.

Au bout d'un temps qui nous paru, dans ces conditions inconfortables, bien long, le fermier n'ayant eu qu'à suivre nos traces dans cette neige immaculée ( eh oui!), vient nous annoncer fausse alerte!

De retour à la ferme, le temps de réinstaller notre émetteur-récepteur, j'obtiens assez rapidement la liaison.... Avec qui et où....? Plus d'une fois nous nous sommes posés la question.

La liaison se termine et j'enregistre machinalement la fin du message : Je lis MERRY CHRISMAS 8/8 ( joyeux Noël 8/8).
Après la libération, j'appris que le 8/8 signifiait : Bons baisers, et que c'étaient des filles qui dans la grande banlieue de Londres étaient nos correspondantes.
« J'ai encore quelques regrets de ne pas l'avoir su plus tôt »

(suite à l'arrestation d'un radio appelé "le petit Georges":)




Mesures immédiates de sécurité. 
Gaston retourne chez lui, je l'aide à déménager. 
Nous déménagions le "Drac", endroit ainsi baptisé, au bout du cours Berriat, à proximité du pont du Drac, où nous émettions, construisons et réparions nos postes émetteurs.
C'était un local que M. Joubert, pharmacien, avait mis à notre disposition. Le déménagement effectué par Pierre, Roger et moi-même se fera à vélo et armé.


ROLAND CLERY


"J'étais à Clermont-Ferrand. J'émettais 5 rue Terrasse. De ma fenêtre, j'apercevais la cathédrale. C'est une rue qui mène à la préfecture du Puy de Dôme. Elle trafiquait en morse vers les colonies. Du coup, quand j'émettais, les Allemands de la gonio ne savaient pas si c'était la préfecture ou un poste clandestin.

C'est comme ça qu'un jour j'entends un guetteur et je vois trois uniformes verts.
Les Allemands nous avaient repérés. J'ai écouté la consigne : "Abandonner son poste, prendre ses quartz et sa nomenclature de vacation.
La nomenclature de vacation ce sont les codes entre les Anglais et nous : les changements de longueur d'ondes, les rendez-vous.

Dans tous nos lieux d'émission, il fallait absolument avoir deux portes pour pouvoir se sauver. Les Allemands sont donc montés d'un côté, et moi je suis sorti de l'autre. J'ai pris ma radio avec moi. Je suis descendu au 2è étage et il y avait un placard à balais. J'ai mis mon poste à l'intérieur en me disant que je viendrais le rechercher après.  Je suis descendu sur la rue Terrasse plus loin que l'entrée principale. Les Allemands m'ont vu sortir, ils m'ont regardé mais m'ont laissé passer. J'avais le cœur qui battait.
On a discuté après avec mon chef de réseau. On pense que les Allemands attendaient un gars avec une valise, puisqu'ils m'avaient vu descendre avec le poste, et qu'ils s'étaient échangés des informations par talkie-walkie. En plus j'étais adolescent, ils s'attendaient sûrement à quelqu'un de plus âgé. "

Il poursuit au sujet des procédures lors des arrestations : 

"On avait un code pour indiquer que l'on manipulait sous la contrainte. Si les Allemands repéraient et arrêtaient un opérateur radio, ils lui ordonnaient de travailler pour eux. A l'époque, si on était pris, on nous demandait de ne pas parler. Alors pour éviter la torture, on continuait à émettre sous les ordres des Allemands mais avec un code qui signifiait : "je manipule sous la contrainte de l'ennemi". Ce petit signe devait être reconnu par les Anglais, mais en fait ils n'avaient pas trop l'habitude de l'entendre.
La torture, c'était le moyen de pression. Mais si on tenait et on ne voulait pas parler, les Allemands prenaient notre carte d'identité avec notre nom et notre adresse. Ils retrouvaient alors vos proches, et menaçaient de les torturer devant nous. "